Penchak Silat Seni Gayung Fatani - L'art aux milles ruses
Penchak Silat Seni Gayung Fatani - L'art aux milles ruses (suite)
Penchak Silat Seni Gayung Fatani - L'art aux milles ruses (fin)

Le Silat, l’art de combat des peuples malais est présent dans la péninsule de Malacca, et dans l’archipel indonésien. Mêlant comme le Wushu auquel on l’assimile parfois, la grâce des attitudes à la férocité des techniques de défense, il constitue cependant un art à part entière. A l’occasion de la venue exceptionnelle de deux experts de Kuala Lumpur, capitale de la Malaysia, nous vous proposons de découvrir l’une des quatre grandes écoles de ce pays : le Seni Gayung Fatani et ses ambassadeurs en Europe, Maître Abdul Rahman B. Ismail, coordinateur pour ce style à l’étranger, et son élève M. Sari Rusali multiple champion depuis 1990 en Europe comme en Asie, dans les catégories combat et technique.

Penchak Silat – L’Art aux Mille Ruses

La Confédération Malaise a été unifiée en 1960 ; elle est constituée de deux ensembles géographiques : A l’ouest la majeure partie de la péninsule de Malacca et à l’est deux provinces sur l’île de Bornéo. Cette zone tropicale de forêts et de montagnes accueille une population plus réduite, qui compte une part importante de peuples aborigènes « proto-malais », que l’on désigne sous le nom du plus célèbre d’entre eux : Les Dayaks. A l’origine de l’art martial des malais, la référence aux animaux n’est pas attribuable à l’influence de la forte communauté chinoise. Bien que présente depuis des siècles dans la péninsule comme dans tout l’archipel, celle-ci gardait jalousement les secrets du Kun-Tao, dérivé des styles du sud. Il semble que cette aspiration provienne plutôt de la source commune que fut la civilisation indienne. Le premier document faisant état du Silat est un livre du XVème siècle, appartenant à la tradition du Sultanat de Malacca. Celui-ci succomba à la domination des portugais (1511), des hollandais, puis des anglais, mais il y a toujours eu des petites entités territoriales, sultanats indépendants, pour s’opposer à la colonisation. Parmi les générations successives de combattants de l’indépendance, qui affrontèrent aussi l’occupant japonnais, les adeptes du Silat étaient réputés posséder la rapidité de l’éclair et la ruse du singe. Ils étaient de plus soutenus par la confiance dans la protection apportée par leur entraînement spirituel. Abdul Rahman B. Ismail, qui en plus de ses activités d’instructeur de Silat enseigne les sciences et la littérature, dans différentes universités de la Malaysia, précise que l’art est inséparable de cette étude. Contrairement à la plupart des disciplines malaises d’Asie qui puisent aux sources du Bouddhisme, la dimension spirituelle du Silat est souvent liée à l’enseignement de l’Islam. En particulier pour ce qui touche aux techniques plus secrètes, l’apport de la mystique des Souffi a été important. La péninsule malaise a été beaucoup moins marquée par l’influence indienne que le Siam ou Sumatra. Malacca, fondée au début du XIVème siècle bénéficiait des échanges entre l’Inde, la Chine et l’Occident, grâce au contrôle de son détroit. Durant la même période, le pays devenait un sultanat. L’entraînement spirituel occupe une place particulière dans la pratique traditionnelle des écoles de Silat comme le Seni Gayung Fatani. L’art martial correspond à la partie physique de l’entraînement tandis que le système de valeurs et le travail de l’esprit dépend aussi du maître. Il existe des styles développés par des ethnies ou groupes animistes, chrétiens, bouddhistes, à Java, aux Célèbes ou à Bali, mais la pratique du Seni Gayong Fatani est de toute façon ouverte à tous. Le gouvernement encourage le sport national comme vecteur d’éducation physique et école de discipline et de rigueur. C’est ainsi que le rapport de maître à élève comporte un ensemble d’obligations telles que ne jamais mentir, ou voler, ni critiquer le maître. En retour, celui-ci accorde par sa bénédiction, une protection particulière contre les attaques dirigées au niveau spirituel.

Le Silat demeure attaché à la dimension d’auto-défense de l’art martial, d’où découlent deux caractéristiques techniques : le travail à mains ouvertes et les postures visant à sortir de la ligne d’attaque.

La sévère discipline exigée permet d’éviter les accidents au cours des entraînements ; le maître est en effet considéré comme un père responsable de la santé de ses élèves et compétent dans diverses formes de médecine traditionnelles. Par contre si il est amené à chasser l’élève, cela équivaut pour celui-ci à une malédiction. D’autre part, on n’apprend pas le Silat « pour se battre ». L’adepte n’est pas sensé adopter une attitude de défi arrogant dans la vie quotidienne , mais au contraire montrer la plus grande modestie, et préférer esquiver les trois premières attaques qu’un agresseur pourrait lui porter, avant de riposter.

Défense contre arme

La caractéristique technique de l’école Seni Gayong Fatani, qui la distingue des autre styles, est la situation de combat qu’elle envisage d’emblée : l’adversaire est armé, il faut réagir avec ou sans arme ! On n’oppose donc jamais la force à la force, il faut absorber puis retourner l’attaque pour ainsi dire dans le même mouvement. Cela donne au style son aspect hautement technique, alors que les attaques sont « traitées » simplement selon trois directions : directes, du haut vers le bas ou latérales. C’est au pratiquant de s’adapter, on ne lui enseignera pas la « défense numéro tant », il lui faut puiser dans le système, avec des réactions aussi aiguisées que des réflexes. La progression s’effectue à partir du travail à mains nues jusqu’au travail des armes. Les mouvements sont conçus pour pouvoir être exécutés, sans changement notoire, l’arme à la main. Autre avantage : Le combattant saura faire face même s’il se trouve désarmé dans l’affrontement. On insiste sur la souplesse et la rapidité, qu’implique la tactique du Silat. On utilise toutes les armes naturelles du corps, mais la main ouverte l’emporte sur le poing, pour rapper du tranchant, de la paume et du bout des doigts. Il n’y a pas d’exercice de renforcement ou d’endurcissement : On compte plus sur la ruse, le déséquilibre de l’adversaire (dont on retourne la force et parfois l’arme contre lui-même) que sur la puissance d’impact des frappes. Comme dans tous les systèmes faisant appel à la force souple, le relâchement du corps est obligatoire. La vigilance de l’esprit également, car toute technique doit pouvoir se modifier pour suivre les réactions de l’adversaire.

Un maître de Silat

Un des plus anciens maîtres dont l’histoire garde trace, fut le Sheikk Abdul Rahman Bin Tahir, qui enseignait au début de ce siècle le Silat. Né en 1900 et aujourd’hui disparu, c’était également un initié et il transmettait l’enseignement mystique du Souffisme. Il résidait dans la région de Patani, qui est aujourd’hui situé au sud du territoire thaïlandais. On a donc modifié l’orthographe du nom de l’école en changeant le P de Patani en F, pour ne pas sembler une organisation « séparatiste ». Les querelles de frontières sont en effet assez épineuses dans cette partie du monde… comme ailleurs. La plaine côtière du Kelantan, attenante à l’actuelle frontière de la Thaïlande, fournit aujourd’hui encore les lutteurs de Silat parmi les plus réputés du pays. Sheikk Abdul Rahman exercait son art dans le village de Kedah, comme son disciple Pak Teh Mat Ali, puis les continuateurs de l’école Haji Imam Mansor et Embong Abdullah furent invités à diffuser le style au centre du pays à Perak, avant que l’actuel grand maître Tuan Haji Anuar Abd. Wahab, âgé de 49 ans, ne s’installe dans la capitale, Kuala Lumpur. Le grand maître a été l’élève à la fois de Embong Abdullah et du fils du Sheikh Abdul Rahman, Tuan Haji Ramli.

Le Bersilat

Le Seni Gayung Fatani Malaysia regroupe environ 40 000 pratiquants sur tout le pays. Les trois autre écoles principales sont le Seni Silat Gayong Malaysia, le Seni Silat Lincah Malaysia et le Seni Silat Cekak Malaysia. Leur orientation est relativement différente dans la mesure où elles privilégient le combat et sa dimension sportive. L’organisation représentée par maître Abdul Rahman préfère y adjoindre et maintenir l’aspect traditionnel de la pratique. La Fédération Internationale de Silat propose deux types de compétitions. La première est axée sur la rencontre sportive et s’appelle Aularaga (ndlr : en fait, cela s’écrit Olahraga ;)) : Les combattants portent un plastron noir. Dans les limites des règlements, y sont acceptées des techniques, coups et prises issus d’autres martiaux. Le Silat Seni représente l’aspect traditionnel, qui fait l’objet surtout de démonstrations : en particulier des formes, les Langkah, dont on rappelle qu’elles constituent la base de l’art. : « Sans langkah, pas de Silat » dit le maître ! La forme particulière que les représentants du Silat Gayung Fatani se proposent de faire connaître en Occident est le Silat Malayu ou Bersilat. Celui-ci partage avec le Pahuyut de l’ancien royaume de Siam et le moderne Muay Tahy, l’accompagnement par un groupe de musiciens des rencontres martiales.

Le style Seni Gayung Fatani permet de mettre en oeuvre les mêmes défenses dans le travail à mains nues et contre armes courtes (Badek) ou longues (Parang : achette et Kayu : bâton court).

Les combattants exécutent chacun une forme, qui constitue à la fois une signature et une sorte de défi chorégraphié. Puis ils se rapprochent et commencent un duel contenu, avec le contrôle absolu qui permet d’enchaîner les techniques les plus variées. La longueur (5 minutes pour la compétition moderne, bien plus longtemps dans les villages) et le côté ludique de ce genre de joute a amené certains observateurs à douter de la valeur martiale du Bersilat, mais celui-ci n’est qu’un aspect de l’art du Silat. Les phases d’observations, de démonstrations et d’engagements plus vifs, constituant un vrai spectacle. Depuis 1986, les Tournois Open de Silat à Vienne permettent d’apprécier les qualités des compétiteurs, et l’introduction du Silat Malayu en augmente encore l’intérêt.
Le Seni Silat Gayung Fatani s’organise autour de la responsabilité de maître Raban, que le grand maître Anuar Abd. Wahab a désigné comme représentant unique en France.

L’art du Silat privilégie les contrôles et les armes-lock, ainsi que les contre-techniques que la pratique souple permet d’enchaîner.

Les armes du Silat

En Malaisiew, le Kriss (ou Keris) est l’arme mère. Tout un ensemble de croyances lui est associé, et au-delà même de certains épisodes mythologiques. Il y aurait matière à de longs développements sur ce sujet auquel il nous faudra revenir. Le Kriss n’apparaît plus aujourd’hui avec la modernisation de la société comme le complément, sinon la pièce majeure de l’habillement de l’homme. Comme ailleurs le port des armes est prohibé, ce qui limite en principe, leur utilisation aux lieux réservés aux arts martiaux. Cependant la faveur des pratiquants de Silat va plus volontiers aux armes courtes qu’aux longues ; ceci illustre bien la valeur qu’ils attachent à la surprise dans l’art de combat, préférant des armes aisément dissimulables aux armes « historiques », épée, sabre, lance, souvent disciplines reines des traditions militaires de pays comme la Chine ou le Japon. On retiendra dans ces catégories :

Le Kerambit, que l’on utilise en combat rapproché, très apprécié pour la self-defence, en est un exemple redoutable : un courte lame courbe, fixée à un anneau, qui permet de la cacher jusqu’à surprendre l’adversaire d’un revers de paume et… « couic ! »

Pisau : Terme générique pour désigner l’ensemble des couteaux courts.

Badek (Badik) : On a codifié un certain nombre de techniques, cependant cette dague droite (à un tranchant) n’est pas aussi populaire parmi les adeptes du Silat qu’autrefois, où elle fut immortalisée comme un symbole de résistance par le guerrier Raja Haji, opposé aux hollandais à l’apogée de leur puissance à Malacca.

Tepki (Cabang) : La version malaisienne du Saï, utilisée dans le Kobudo d’Okinawa. Son nom signifierait « branche ».

Parang (golok) : Une arme longue, dont la lame s’élargit vers l’extrémité, présente autrefois dans les batailles rangées au même titre que l’épée, (appelée Pedang en Malaisie). Les Dayaks de Bornéo utilisent un type de machette appelée Mandau, capable de décapiter un homme. Toutes ces lames sont suffisamment lourdes pour bloquer d’autres armes et leur maniement a été systématisé.

Lembing : Le javelot est peu étudié. Il fut le support d’une mythologie parallèle à celle du Kriss, parmi les différents peuples aborigènes de la péninsule ou de l’archipel, qui le maniaient redoutablement.

Kayu (Tongkat) : Bâton court très apprécié, sa taille dépasse celle de la matraque sans atteindre celle d’une canne.

Selendang (ou Bengkong) : La ceinture appartient à la tenue traditionnelle des Malais et donc à la panoplie du Silat. Il existe de nombreuses techniques défense et d’attaque avec cette « arme » de tissu, très utile contre un adversaire muni d’une lame : blocages, clés et étranglements, fouettés en direction des yeux.

Patrick Lepage
(Karaté-Bushido)



Remerciements pour leur collaboration aux partenaires du développement du Seni Gayung Fatani, à la Malaysian Promotion Tourism Board, ainsi que à Mr Rahman Shaari Dewan Bahasa, Mr Aziz Deraman et la Malaysia Airlines.